Le principe d’abonnement submerge nos sociétés modernes. Vous avez probablement souscrit à nombre d’entre eux. De l’eau aux services de divertissement, le concept semble s’imposer. Cette invasion a fait émerger le concept de « subscription fatigue ». Certains Américains en ont marre de payer des abonnements. D’où vient-il et pourquoi est-il si présent ?
- Histoire de l’abonnement
17ème – 19ème
Étonnamment, l’abonnement est un concept initialement très différent de la forme qu’il prend aujourd’hui. Remontons en 1638, le roi d’Angleterre Charles I donne son approbation pour un système d’assurance contre les incendies. Peu compris par la population, le projet fut un échec cuisant. Toutefois, le principe se développa progressivement. Une trentaine d’années plus tard, les sociétés commerciales, les organismes de bienfaisance, et même les théâtres commencèrent à adopter l’assurance. L’abonnement muta lentement à travers différentes formes. Des « abonnés » payaient par exemple un écrivain pour écrire sur un thème spécifique. Les universités proposèrent des cours en échange d’un abonnement. Et les activités culturelles s’emparèrent de l’abonnement, fournissant des pièces théâtres ou l’écoute d’opéra avec l’illustre théâtrophone. Bref, il s’agissait d’une forme de crowdfunding dans laquelle les abonnés effectuaient des paiements pour soutenir de nouvelles idées et de nouveaux produits.
20ème
Le rapide développement des moyens de communication et de transport ouvra de nouvelles opportunités. La livraison de produits ou la capacité à fournir un service devinrent plus faciles. En effet, les entreprises ont pu agrandir leurs activités à la vitesse de l’éclair. De ce fait sont apparus les abonnements mensuels voire hebdomadaires. L’abonnement permet une plus grande stabilité de revenus pour les entreprises et plus de confort pour les clients. Ainsi l’abonnement est centré autour de ces mêmes clients et non plus autour du fournisseur de services.

Le principe décolla dans les années 1920. Les journaux avaient constitué une base de lecteurs fidèles. Dès lors, l’abonnement devenait un modèle intéressant à développer. Rapidement, toutes les classes sociales pouvaient se faire livrer leur journal favori. Par ailleurs, ce modèle fut également adopté par la télévision dans les années 70. Les téléspectateurs avaient un nombre limité de chaîne disponible. Charles Dolan – conscient de la demande accrue pour une offre télévisuelle étendue – fonda HBO. Et c’est la même réflexion qui poussa Reed Hastings à créer Netflix. Fatigué de devoir payer une petite fortune pour louer un DVD, il décida de lancer un système d’abonnement mensuel pour supplanter la location à l’unité.
Enfin le développement technologique a permis de pousser davantage l’utilisation de l’abonnement. Aujourd’hui il varie en fonction de la demande des consommateurs.
- Mutation de l’abonnement
De nouveaux besoins
Aujourd’hui, la prédominance de l’abonnement reflète le changement de notre mode de vie. De fait en 2020, les Britanniques ont dépensé 2 milliards.
La recherche de stabilité et de sécurité laisse place à davantage de liberté, d’aventure et de flexibilité. En fait, les individus sont moins enclins à être propriétaire des biens qu’ils utilisent. En témoigne les phénomènes de société que sont devenus Airbnb ou BlaBlaCar en France. Alors l’abonnement devient un moyen attractif pour bénéficier de services en un temps limité. Cette tendance provient également d’un aspect plus structurel : l’urbanisation. On observe une concentration de la population autour de métropoles. L’espace disponible est réduit mais davantage utilisé. Cela implique entre-autre une utilisation croissante des transports publiques à la place des voitures. Pour avoir vécu dans une petite ville, le permis est essentiel pour trouver un job en intérim, les transports en commun vont se coucher dès 21h et il est compliqué d’aller où l’on veut sans voiture une fois sorti du centre. La voiture et le scooter sont plus pratiques qu’un abonnement très restreint à nos transports en commun aubois.
Puis, vient l’éléphant au milieu de la pièce : l’avancée technologique. Si vous ne saviez pas quoi faire dans les années 1960, vous lisiez, jouiez avec vos amis dehors ou aidiez votre famille pour des tâches spécifiques. Aujourd’hui, on a le souhaitable problème d’avoir à choisir quelles activités nous allons faire. La technologie a permis de donner accès à une myriade d’activités disponibles sur Internet. L’urbanisation et l’évolution de transports facilitent l’accès aux activités de votre choix. De surcroît, vous pouvez facilement trouver des personnes qui partagent vos intérêts. Et les abonnements dans tout cela ?
A vrai dire, la majorité des éléments ci-dessus passent par des abonnements. Vous avez le sacrosaint abonnement internet et téléphonique pour accéder à ces activités et communiquer. Ensuite les services de divertissements tels que Deezer, Netflix, Kindle, Canal Plus. Vous suivez des blogs, des créateurs de contenus ou autres messages destinés à une communauté dont vous faites partie ? Hop Hop Hop, on rajoute les newsletters, les chaînes YouTube, et les comptes auxquels vous êtes « abonnés » sur les réseaux sociaux. D’ailleurs ces services ont également pour point commun de ne pas prendre de place physique. Pas de disque pour écouter de la musique ou voir un film, pas besoin d’être regroupé géographiquement mais le même engagement des clients : vous. D’ailleurs si vous nous lisez, cela signifie que vous utilisez un appareil depuis lequel vous pouvez faire tout cela !
Ces tendances sont amenées à se renforcer si on regarde l’évolution de la structure de nos dépenses. La nourriture et l’habillement prennent une place moindre qu’auparavant, au profit du logement, de la santé, et des services culturelles. Résultat : les Britanniques ont dépensé 2 milliards de livre Sterling uniquement avec des abonnements en 2020. D’autant plus que les entreprises ont assimilé les importants avantages que leur procure l’abonnement.
Intérêts croissants des entreprises pour l’abonnement
Premièrement une part grandissante d’entreprise développe le système d’abonnement car cela répond aux besoins des consommateurs. Ainsi vous pouvez vous abonner pour faire de la pêche, pour parier en ligne ou même pour détenir temporairement un espace, un local. D’autres entreprises se concentrent sur l’abonnement parce qu’elles n’ont pas le choix. La presse demeure un exemple frappant. Les journaux sont désormais lus en ligne dans la plupart des pays.
Ensuite, l’abonnement est un outil de fidélisation de la clientèle. L’ensemble des abonnés forme une communauté partageant un même intérêt. Et les moyens pour vous le faire sentir sont divers. On peut penser aux messages communiquant les « nouveautés », « les événements », « les réductions ». Ou encore la désignation des abonnées par le plus familier « les amis » en France. Une stratégie qui s’avère payante et dont les entreprises y consacrent de plus en plus de moyens. Les dépenses importantes sont contrebalancées par un engagement supérieur des clients et une accumulation d’informations facilitant les décisions stratégiques. Qatar Airways a d’ailleurs misé sur la fidélisation des clients depuis 10 ans par un service d’abonnement. Elle est ainsi l’entreprise qui possède le taux de satisfaction le plus élevé.
Le système d’abonnement en ligne facilite également les démarches pour obtenir des biens ou services. De plus les abonnements qui se font par virement n’engagent pas le client à consommer. Il doit fournir un effort pour arrêter l’abonnement. On peut parler de forfaitisation des services. Que vous utilisez les services ou non, vous paierez. Ce n’était pas le cas pour les services téléphoniques qui facturait il y a 20 ans en fonction de l’utilisation (pay as you go).
Enfin l’abonnement est une stratégie rassurante pour les entreprises qui voient une rentrée continue d’argent. Un aspect qui a le mérite de rassurer les actionnaires qui se concentrent alors sur le long-terme. Netflix et Deezer ne sont d’ailleurs toujours pas rentables mais cela ne se retranscrit pas par une baisse de la valeur des actions. L’abonnement permet également de lancer une gamme de produit pour essayer une stratégie. Nike propose un abonnement pour les chaussures d’enfants aux Etats-Unis. Si ce n’est pas viable financièrement, il compte en fait créer une forte fidélisation des clients dès le plus jeune âge.
L’ensemble de ces facteurs découlent sur une augmentation continue du nombre d’abonnement :

Quel futur pour l’abonnement ?
Le développement de l’abonnement semble aller de pair avec les politiques de consolidation dans le secteur du divertissement. Il n’y a rien d’étonnant à cela ! On pourrait percevoir ce secteur comme comportant des sous-groupes hétérogènes : la musique, les films et séries, les jeux vidéo, etc. Toutefois chaque groupe est en compétition avec les autres. En effet, le temps passé à regarder une série n’est de facto pas consacré à jouer, à lire, à écouter de la musique. Cette bataille interne et externe aux groupes peut se résumer à « maximiser la part de temps disponible des consommateurs dédiée aux services d’une entreprise ». Ainsi les entreprises de divertissement diversifient leurs services et tentent de s’accaparer des parts de marchés supplémentaires par une croissance aussi bien intensive qu’extensive. Netflix – souvent pris en exemple – est un cas d’école.
La plateforme américaine rachète de nombreuses licences pour agrandir son catalogue de films et séries. Elle lance en 2017 son premier jeu vidéo basé sur l’univers de Stranger Things. Mais le plus impressionnant reste sa maîtrise de l’algorithme et sa communication. En fait, les algorithmes permettent de personnaliser l’expérience selon les goûts et sensibilités de chaque individu. Le contenu créé est également cadré et défini en fonction des données récupérées. Dernièrement, des équipes de communication travaillent à maintenir l’engagement de créateur grâce aux réseaux sociaux. Ces mêmes réseaux sociaux dont le contenu diffère en fonction des pays et des régions. Un choix qui permet de peaufiner la communication en prenant en compte la culture et les programmes disponibles dans telle ou telle région.

Le concept d’abonnement risque de durer dans le temps. Par exemple, la surcharge d’information se contourne aisément par l’abonnement à des sites, journaux dont vous partagez le point de vue et la ligne éditoriale. De manière générale notre temps passé sur les appareils électroniques ne cesse de grimper et pour cause ils sont d’une utilité éclatante. Aussi le concept d’abonnement gagne les faveurs des offreurs comme des demandeurs. Il est loin d’être sans problème cependant. Pour n’effleurer que la face visible de l’iceberg :
- Souscrire à des services de plus en plus réglementés implique de donner son accord à des contrats et conditions générales d’utilisations toujours plus illisibles.
- L’IA permet de mieux comprendre nos habitudes et par conséquent délimiter le processus de création de contenu.
- L’abonnement est un modèle très intéressant pour les grosses entreprises mais est-il rentable lorsqu’il est le principal modèle économique d’un secteur oligopolistique ?
- Des politiques de consolidation qui favorisent une réduction du nombre d’offreurs.
- Abonne toi
Finalement l’abonnement continue d’évoluer et de prendre des formes différentes. Il mute en même temps que nos sociétés. Que l’on s’en méfie ou s’en réjouisse, il est parti pour perdurer dans le temps.
Par Clément Stocco