« Russes et Ukrainiens ne forment qu’un peuple, un tout uni »

Vladimir Poutine

En disant cela, le dirigeant russe légitime l’invasion de son voisin, ce dernier étant une anomalie géopolitique, un pays et une nation qui n’existent pas et qui reviennent de droit à la Russie. Néanmoins, qu’est ce qui a pu motiver le dirigeant russe pour aboutir à de telles conclusions ? Afin répondre à cette question et de comprendre au mieux les raisons du conflit Russo-Ukrainien, le pachy vous propose un retour aux sources de ce conflit.

La genèse (980-1226) : Ukraine et Russie nées dans le même berceau : Kiev

Au VIIe siècle, l’Etat Kiev est fondée par les Varègues, un peuple viking de Suède, nommé Rus’, il s’étend du Nord Ukrainien à l’ouest russe actuels incluant la Biélorussie. L’Etat s’enrichit grâce au commerce avec l’empire byzantin et s’agrandit à tel point que la Rus’ de Kiev devient le plus grand pays d’Europe ( des Carpates à la Volga et de la mer baltique à la mer Noire). Le baptême de son prince, Vladimir le Grand en 988 signe la conversion massive de l’Etat et de sa population au christianisme orthodoxe, actant ainsi la naissance de l’orthodoxie russe. La Rus’ connait son apogée sous le règne de Vladimir. Mais, l’absence de succession héréditaire entraine une balkanisation et un affaiblissement de la Rus’ de Kiev alors en proie à de nombreux pillages venus de l’Est (Huns, Mongols…).

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La séparation des siamois (1226-1712) : invasion et rupture

En 1226, Kiev tombe sous le joug Mongol. Il s’ensuit alors une dure domination des Mongols qui pillent et réduisent en esclavage la population. L’ancienne Rus’ cherche alors le soutien des autres Etats européens pour se libérer de sa vassalité. Appel auquel répondent la Pologne et la Lituanie qui conquièrent l’intégralité de la Rus’ hormis les provinces russes (Novgorod, Moscou…). La Pologne garde le contrôle de l’Ukraine actuelle et la Lituanie annexe quant à elle l’actuelle Biélorussie. En parallèle, les Mongols se retirent de l’Ouest Russe tout en maintenant leur domination en lui imposant un tribut élevé. Les princes moscovites en profitent pour s’extirper de cette vassalité. Ils prennent peu à peu le contrôle des autres provinces et forment la Russie, dérivée de Rus’. Ivan IV le Terrible se sacre lui-même tsar (du mot César) de Russie en 1547 et se revendique tout comme son grand père Ivan III comme l’unique descendant de Vladimir le Grand alors même que Kiev est sous domination Lituano-Polonaise.

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 Retrouver son berceau (1712-1917) : un leitmotiv russe

La Russie ne cesse de croitre et après une victoire sur les Suédois, la Russie obtient un accès à la Baltique, se rapprochant ainsi de Kiev dans un pays baptisé « Ukraine » qui signifie voisin en slave. En 1712, le Tsar Pierre le Grand transforme la Russie en Empire de Russie, déplace la capitale à Saint-Pétersbourg fondée pour l’occasion. Ce changement marque un tournant fort, la Russie veut renouer avec ses origines européennes. Il sera suivi par la nouvelle dénomination du tsar qui devient en 1721 « l’empereur de toutes les Russies ». Un siècle auparavant, une partie de l’Ukraine fut annexé à la Russie à la suite d’un soulèvement des cosaques, paysans orthodoxes refusant la domination de la Pologne catholique. L’Ukraine de l’Ouest passe néanmoins brièvement sous contrôle Autrichien mais ne change en rien les ambitions de la nouvelle impératrice de Russie, Catherine II qui en 1793 prend le contrôle de la quasi-totalité de l’Ukraine dont sa capitale Kiev. Cette dernière est alors russifiée, l’ukrainien y est interdit et toute la vie intellectuelle et culturelle de l’Ukraine est aspirée par Saint-Pétersbourg. Néanmoins, l’Ukraine sous contrôle polonais pendant des siècles diverge de la Russie et de nombreuses formes de résistance à l’occupant Russe naissent. Un mouvement Ukrainophile naît néanmoins à Kiev et se répand jusqu’à la capitale Russe. Il se caractérise par une fascination pour les agriculteurs polonais et conduira à un premier rejet des Russes et l’apparition d’une Nation Ukrainienne.

L’espoir d’une nation Ukrainienne : 1917-1922

À la suite de la Première Guerre mondiale et de la Révolution russe, les deux Empires se partageant la Pologne, l’Autriche-Hongrie et la Russie se retrouvent en grande difficulté. Les Ukrainiens en profitent pour fonder la République Populaire d’Ukraine, revendiquant des terres jusqu’à Lviv en Pologne. Néanmoins, elle peine à s’affranchir des contagions géopolitiques de son voisin et la guerre civile opposant Blancs (Tsaristes), Rouges (Bolcheviks) et Noirs (Anarchistes) ravage le pays. Les bolcheviks l’emportent finalement mais le pays en sort gravement meurtri.

L’Ukraine Soviétique : 1922-1991

Le 30 décembre 1922, la Russie bolchévique annexe alors l’Ukraine et fonde l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. L’Ukraine devient Soviétique et Staline compte bien tirer pleinement partie des richesses du pays. Néanmoins, Staline est conscient que la brève indépendance du berceau de la civilisation russe a fait renaitre l’Ukraine, il entend donc écraser toute revendication nationale ukrainienne aussi petite qu’elle soit. Les intellectuels ukrainiens seront des cibles privilégiées pour le dirigeant soviétique lors des Grandes Purges de 1937-1938. L’Ukraine subira tragiquement la collectivisation des terres par les Soviétiques en 1932 entrainant l’Holodomor, la plus grosse famine jamais connue en Ukraine entrainant la mort de 2 à 5 millions de personnes. Moscou a toujours nié dans un premier temps son existence puis son caractère intentionnel, qui ne suscite aucun doute côté Ukrainien qui qualifieront cet acte de génocide. Les famines et déportations incessantes vers le goulag nourrissent un sentiment antirusse fort. À tel point que certains Ukrainiens accueilleront la Wehrmacht allemande en libératrice lors de son invasion en 1941. L’Ukraine se déchire alors entre les deux jumeaux ennemis (terme d’Anna Arendt désignant l’Allemagne Nazie et l’URSS). Elle sera au cœur de la « Terre de feu », territoire subissant violement les interactions des deux systèmes totalitaires durant la Seconde Guerre mondiale. Les Einsatzgruppen y élimineront systématiquement juifs et communistes à mesure de l’avancée de la Wehrmacht. Le pays sortira ravagé de cette guerre, accumulant 8 millions de pertes (sur 40 millions d’habitants). L’URSS réintègre alors l’Ukraine. Le pays sera la cible d’une glorification par Moscou, il est vu comme le modèle à suivre. En 1954, suivant ce même objectif et en célébration du 300ème anniversaire du traité de Pereïaslav (accord marquant la mise sous tutelle d’une partie de l’Ukraine auprès de la Russie), Khrouchtchev offre à l’Ukraine la Crimée, ce qui en termes politiques n’avait aucun impact puisque la Russie et l’Ukraine ne formait qu’un pays. En 1986, l’Ukraine se retrouve sur le devant de la scène internationale à la suite du terrible accident nucléaire de Tchernobyl, accident duquel les Ukrainiens souffriront grandement notamment la population de Pripiat situé à 3km de la centrale qui sera évacuée dans l’urgence après la catastrophe. L’Ukraine apparait encore une fois comme un terrain d’expérimentation pour l’URSS. Pourtant les mouvements de résistance aux Soviétiques peinent à émerger en raison d’une terrible répression. Ils devront attendre 1989 pour exister et en 1990 le Roukh, premier parti politique ukrainien depuis 1922 voit le jour. L’URSS s’écroulera un an plus tard.

Mémorial de l’Holodomor inauguré à Kiev en 2008
“Memorial ‘the Holodomor’; 1932-1933 (death by hunger) in Kyiv, Ukraine” par Andrew J.Swan est sous licence CC BY-SA 3.0. Pour voir une copie de la licence, consultez https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/?ref=openverse&atype=rich
Pripiat ville martyr de Tchernobyl, dernier vestige du communisme en Ukraine.
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La nouvelle Ukraine : 1991-2022

Avec 91% des voix, l’indépendance de l’Ukraine est votée par référendum. Mais très rapidement, des tensions apparaissent avec la Russie notamment en Crimée au sujet du contrôle de la flotte russe en Mer Noire (le plus grand port militaire russe se trouvant à Sébastopol en Crimée). De plus, le nouveau régime est en proie à la corruption grandissante et la Russie maintient sa pression sur l’Ukraine notamment en menaçant avec un blocus sur des produits stratégiques comme le gaz.  En 2004, éclate la révolution orange, s’inscrivant dans la lignée des révolutions colorées, mouvements de protestation civile contre la corruption dans les ex-républiques soviétiques. L’Ukraine en sort grandement affaiblie et la Russie de retour sur la scène internationale en profite pour doubler le prix de son gaz vers l’Ukraine. En 2013, l’Ukraine se rapproche de l’UE et veut signer un accord d’association. Mais Vladimir Poutine, craignant le basculement de l’Ukraine aux mains des occidentaux s’y oppose et fait pression sur Kiev à tel point que cet accord est avorté. Mais ce n’est pas l’avis de la population qui manifeste jouer et nuit à Kiev sur la place Maïdan, le mouvement sera fortement réprimé et couta la vie à 80 personnes forçant le gouvernement pro-russe à quitter ses fonctions. Il s’ensuit une deuxième grave crise pour l’Ukraine, la Crimée se retrouve prise d’assaut par des troupes pro-russes desquelles Moscou nie tout lien. Kiev accuse pourtant son voisin d’invasion masquée. Le 16 mars 2014, la Crimée est annexée par la Russie à la suite d’un référendum illégal et truqué. Cette annexion de la Crimée fait réagir d’autres militants pro-russes notamment dans les régions russophones de l’est Ukrainien. Les deux régions de Donetsk et de Lougansk déclarent leur indépendance (reconnue le 22 février 2022 par Vladimir Poutine). Des affrontements prennent alors place entre l’armée ukrainienne et des milices pro-russes sans jamais prendre fin. Le 24 février, Vladimir Poutine bombarde et envahit la quasi-totalité des villes Ukrainiennes.

Heurts en marge des manifestations Euromaidan à Kiev en 2014
“File:Radically oriented protesters throwing Molotov cocktails in direction of Interior troops positions. Dynamivska str. Euromaidan Protests. Events of Jan 19, 2014-5.jpg” par Mstyslav Chernov/Unframe/http://www.unframe.com/photographers/102-mstyslav-chernov.html est sous licence CC PDM 1.0. Pour voir une copie de la licence, consultez https://creativecommons.org/publicdomain/mark/1.0/?ref=openverse&atype=rich

Poutine nie donc l’existence d’une nation qui existe bel et bien. Une nation forte de sa culture, de sa langue et surtout de sa résistance face aux différents oppresseurs étrangers, Russes y compris. Si Poutine ne tardera pas à mettre au ban l’armée Ukrainienne, reprendre le contrôle de toute une nation sera pour le maitre du Kremlin une toute autre bataille.

Par Alexandre Côme