La première application de shopping en ligne dans plus d’une cinquantaine de pays, c’est aujourd’hui Shein, marque chinoise fondée par Chris Xu en 2008. Cette dernière comptabilise depuis peu plus de téléchargements qu’Amazon. Malgré les problématiques écologiques, sociales et éthiques engendrées par l’ultra fast-fashion, ce marché ne cesse de croître.
- Les étapes du développement de l’entreprise
Baptisée ZZKKO lors de sa création, l’entreprise vendait originellement des robes de mariage. Elle est renommée Sheinside fin 2008, et étend sa gamme de produits à la mode féminine. En 2015, elle développe massivement sa chaîne d’approvisionnement, cherchant à se tourner vers l’Occident, et revêt son nom définitif, Shein. Cinq ans plus tard, elle devient la marque la plus citée sur les plateformes TikTok et YouTube. Son ascension prend une tournure particulièrement impressionnante durant la pandémie, surpassant notamment Zara et H&M. En 2021, elle recense 22,4 millions d’abonnés sur Instagram, compte plus de 100 000 employés et se vend dans plus de 220 pays.

- Les clefs de la réussite : identifier et comprendre ses consommateurs
Ce qui fait le succès impressionnant de cette marque, c’est d’abord le choix de se concentrer sur un type précis de consommateur : les jeunes femmes entre 16 et 24 ans. Les vêtements féminins représentent 81% des produits disponibles. Shein maîtrise parfaitement les codes de ce segment de population. Ses modèles de vêtements sont créés d’après des algorithmes qui analysent les tendances vestimentaires actuelles repérées sur Internet, comme le rapporte Daily Mail le 28 août 2021. En coopération avec Google, la marque parvient même à prédire les modes des semaines suivantes. Les produits proposés sont donc toujours d’actualité. Ce processus est appelé « retail in real-time » (ou distribution en temps réel) par les spécialistes. C’est d’ailleurs cette caractéristique qui définit principalement le phénomène d’ultra fast-fashion.
Ce qui pousse aussi à acheter, c’est qu’à l’exception des modèles basiques, l’entreprise ne sort jamais plus de 50 à 100 pièces par produit. C’est bien en-dessous du minium habituel, de 300 à 500 chez Zara. Plus de 2000 nouveaux vêtements sont donc disponibles chaque jour sur le site. Pour les consommateurs, c’est la promesse de pouvoir se créer un style unique et original. Cela montre une bonne connaissance de la psychologie du type de consommateur visé, pris dans l’ambivalence entre la recherche de l’affirmation de soi et de son appartenance à un groupe social. Pour Maxime Bedat, chercheuse et spécialiste de l’industrie de la mode, l’entreprise « utilise cette insécurité » ; les jeunes filles de cette tranche d’âge étant en effet « soumises à la pression de la représentativité ».
À ce renouvellement cadencé de vêtements s’ajoute la faiblesse des coûts des produits. Il devient possible de porter des vêtements similaires à ceux des célébrités et mannequins médiatisés, pour des prix qui défient toute concurrence. Une étude menée par OC&C Strategy Consultant, montre que pour 55% de la génération Z, le prix est le facteur le plus important lorsqu’il s’agit d’acheter des vêtements. Cela explique le succès de Shein, chaque produit coûtant en moyenne entre 8 et 30 dollars, soit deux fois moins chers que chez les autres enseignes de mode populaires. C’est sans compter les innombrables réductions et codes promotionnels proposés par la marque.
- Un coût qui se révèle social, environnemental et éthique
Toutefois, la faiblesse des coûts et l’intensité de la création de vêtements demandent de faire de lourds compromis sur d’autres pans de la production, ce qui a valu à la marque plusieurs scandales. Outre l’aspect digitalisé, qui permet d’économiser sur les loyers, et la suppression des taxes pour le commerce B2C sous Trump, l’accessibilité des prix s’explique aussi par les conditions douteuses d’embauche des employés. L’index de transparence de l’industrie de la mode, qui s’intéresse principalement aux chaînes de production, classe Shein dans les derniers. Wu Peiyue est l’une des seules journalistes à avoir pu aller en Chine sur leur site de production pour enquêter sur les conditions de travail des employés. Elle rapporte que Shein embauche de nombreux salariés temporaires. Ils sont rémunérés au vêtement, pour les encourager à augmenter leur productivité. Elle affirme que de nombreux employés sont sous-payés, et ne disposent pas de contrats de travail officiels. Ils ne sont pas inclus dans le système de santé social, problème qui dépasse évidemment la seule entreprise. Ces affirmations sont toutefois à prendre avec du recul, les zones d’ombre autour de la chaîne de production restant nombreuses.
Sur le plan environnemental, le modèle de consommation pose également problème. Les produits sont de mauvaise qualité et polluants. Ils sont en effet composés majoritairement de micro plastiques, le polyester étant l’une des matières les moins coûteuses à fabriquer. Si l’on interroge les consommateurs, RTBF rapporte que selon « l’agrégateur d’avis TrustPilot (…) Shein obtient le faible score de 2,6 étoiles sur cinq. 37% des avis sont mauvais ». Les produits ne tiennent donc pas réellement sur la durée, et ne sont d’ailleurs pas créés dans cette optique. Ils répondent uniquement à la tournure de plus en plus éphémère que prend la mode. Lors des partenariats avec des influenceurs, les habits leur sont pour la plupart envoyés gratuitement, ils seront portés à l’occasion de quelques vidéos ou photos, avant d’être renvoyés, ou jetés. Les consommateurs de ce type de contenu sur les réseaux sociaux sont encouragés à adopter ce même mode de consommation, et de renouveler leur garde-robe fréquemment comme le permettent les petits prix.
L’entreprise réalise également des économies grâce à l’utilisation des algorithmes. Ils s’inspirent de designs déjà existants, voire les copient. Shein fait également appel à ses propres designers, mais a plusieurs fois été accusée de plagiat par des marques de luxe et par des petits créateurs indépendants. Habituellement, le processus allant du design du produit jusqu’au magasin prend un mois. Pour Shein, c’est environ une semaine. Parfois, ils ne commencent même pas à produire le vêtement avant que la commande soit effectuée.
- Outrepasser les polémiques : une stratégie marketing réfléchie et maîtrisée
Étonnement, ces polémiques ne suffisent pas à freiner l’ascension de l’entreprise. Sa popularité croissante repose en réalité majoritairement sur l’impressionnante efficacité de sa stratégie marketing, qui permet de faire oublier la mauvaise presse. L’entreprise domine en effet largement ses compétiteurs sur le terrain virtuel, en particulier sur TikTok et YouTube, par le moyen des partenariats. Shein l’a bien compris, les réseaux sociaux font partie intégrante du quotidien de la jeune génération. Ils sont devenus un support d’influence majeur. Les vidéos d’influenceurs présentant leurs commandes de vêtements étaient déjà très populaires, mais les hauls spécifiquement dédiés à Shein sont viraux. L’hashtag de la marque comptabilise aujourd’hui plus de 17 milliards de vues. Ce type de contenu est même devenu un moyen pour les influenceurs d’accroître leur propre visibilité. L’entreprise collabore aussi avec des célébrités, telles que Katy Perry, Lil Nas X et Rita Ora. Ces contrats permettent de toucher un public encore plus large et plus diversifié.
Un autre point fort de sa stratégie marketing est sa mise à l’honneur de l’inclusivité. Elle propose des tailles qui s’avèrent difficiles à trouver dans les magasins classiques. Cette contrainte peut pousser les consommateurs concernés à se tourner vers des sociétés de mode en ligne. Shein, dont 16% des produits sont dédiés aux tailles « Curve + », dépasse ses concurrents, comme Forever 21, entreprise pour laquelle le taux s’élève à 9%. La marque surfe aussi sur les mouvements en vogue, telles que le « body positivity » et le « self-love », qui promeuvent l’acceptation de soi. Ces messages sont valorisés par les jeunes qui cherchent à se retrouver davantage dans les marques qu’ils consomment. C’est le cas chez Shein, les mannequins présents sur le site représentant davantage de diversité. La collaboration avec le collectif All Size Catwalk en février 2020 s’inscrit par exemple dans cette tendance.
L’entreprise prête également attention à son image, et ce qui lui permet de regagner la confiance du consommateur, c’est sa prise en considération des reproches qui lui sont faits. Elle précise par exemple sur son site qu’elle est opposée au travail des enfants. Pour répondre aux accusations de plagiat, Shein a lancé une rubrique spéciale pour mettre à l’honneur des jeunes talents de la mode. Rachelle Cunningham, jeune artiste parisienne, a reçu un message d’excuse de la part du compte Instagram de Shein après avoir dénoncé la ressemblance frappante entre l’un des maillots de bain commercialisés par la marque et l’une de ses créations. Si ces initiatives sont loin d’être suffisantes pour limiter les dégâts causés par l’ultra fast-fashion, force est de constater que la stratégie marketing de Shein semble convaincre de plus en plus de consommateurs, le chiffre d’affaire s’élevant à plus de 10 milliards de dollars.
Par Jeanne Verrhiest